Trois poètes libertaires
9,5/10
Jean-Louis Trintignant
Bonjour à tous,
Cette semaine, une soirée d’exception avec, fait rare, un 9,5/10 à la clé.
Jean-Louis Trintignant faisait lecture en musique, avec Daniel Mille à l’accordéon et Grégoire Korniluk au violoncelle, au théâtre d’Outremont, de trois poètes libertaires : Jacques Prévert, Boris Vian et Robert Desnos.
Alors, une fois n’est pas coutume, j’ai juste envie de me taire et de vous offrir quelques poèmes et quelques chansons dans un monde de brutes.
Un billet zen en quelque sorte en réponse à la fureur du monde.
Lumière de mes nuits Youki
Te souviens-tu des nuits où tu apparaissais
Sur le rectangle clair des vitres de ma porte ?
Où tu surgissais dans les ténèbres de ma maison
Où tu t’abattais sur mon lit comme un grand oiseau
Fatigué de passer les océans et les plaines et les forêts.
Te souviens-tu de tes paroles de salut
Te souviens-tu de mes paroles de bienvenue
de mes paroles d’amour ?
Non, il ne t’en souvient pas,
On ne se souvient pas du présent, personne…
Or, il est nuit,
Tu surviens, tu arrives, tu t’abats sur mon lit
Je suis ton serviteur et ton défenseur soumis
à ta loi et toi soumise à mon amour.
Il est minuit il est midi
Il est minuit et quart
Il est minuit et demi
Il est minuit à venir ou midi passé
Il est midi sonnant
Il est toujours midi sonnant pour mon amour
Pour notre amour
Tout sonne tout frémit et tes lèvres
Et sur mon lit tu t’abats entre minuit
et quatre heures du matin comme un grand albatros
Échappé des tempêtes.
Robert Desnos
L’Évadé
Il a dévalé la colline
Ses pas faisaient rouler les pierres
Là-haut entre les quatre murs
La sirène chantait sans joie
Il respirait l’odeur des arbres
Avec son corps comme une forge
La lumière l’accompagnait
Et lui faisait danser son ombre
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il sautait à travers les herbes
Il a cueilli deux feuilles jaunes
Gorgées de sève et de soleil
Les canons d’acier bleu crachaient
De courtes flammes de feu sec
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l’eau
Il y a plongé son visage
Il riait de joie il a bu
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il s’est relevé pour sauter
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L’a foudroyé sur l’autre rive
Le sang et l’eau se sont mêlés
Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil
Le temps d’atteindre l’autre rive
Le temps de rire aux assassins
Le temps de courir vers la femme
Il avait eu le temps de vivre.
Boris Vian
Déjeuner du matin
Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuillère
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s'est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis
Son manteau de pluie
Parce qu'il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j'ai pris
Ma tête dans ma main
Et j'ai pleuré.
Jacques Prévert
Et vous, la poésie, ça vous inspire quoi?
À bientôt,
Michel
